Jacques Aslanian, peintre phare d’une diaspora muette, exposé à Paris

Minas, terre cuite, 73

Un étonnement toujours, un sourire ensuite, et l’on se rapproche pour mieux voir. Cette accroche advient souvent quand on découvre les œuvres de Jacques Aslanian. Car bien souvent, même si on ne sait pas dire quoi, quelque chose se passe.

Tentative d’explication

Le « Jacquot ! » (son surnom alors) était un homme discret mais bien connu d’Alfortville où il naît en 1929. Enfant il y fait les 400 coups autour du Pont à l’Anglais ou sur les voies ferrées, tandis que ses parents besogneux et les Arméniens lui montrent une diaspora à la peine. Plus tard les expéditions où le mènent son attrait pour les gens qui lui semblaient différents, lui font cultiver une attitude frisant la joyeuse inconscience, au grand étonnement de tous. Aujourd’hui encore il y a comme une légende urbaine autour de ce personnage attachant, atypique, d’une bonhommie à la marge et observateur attentif de son monde.

Nombreux sont en effet ceux qui en gardent le souvenir, une vision ou une anecdote curieuse. Cet héritier de l’exil avait en tous cas le don de représenter comme personne, la nostalgie endeuillée des siens, avec une pointe d’humour ou d’innocence bienvenue.

Le père au journal, dessin à l'encre, 15,5x15,1cm, 65-70

Le bottier - 1989

Une mise en lumière heureuse
Plus de dix ans après sa mort en 2003, un site internet lui est enfin dédié, d’autant plus appréciable qu’on y découvre un portrait vidéo de l’artiste, très révélateur, et certains articles qu’il a inspirés. Les rares interviews de ce personnage peu bavard sont en effet un régal.
Sans doute parce qu’il « cherche à exprimer ce qui [lui] semble à la fois rare et important : la douceur, l’intemporalité, la tendresse. » comme il le confiait en 1993 dans la Revue de la Céramique et du Verre. Tout autant peintre que sculpteur, Aslanian compensait par le côté physique de la terre, qu’il travaillait de tous ses muscles, le côté plus intellectuel qu’il attribue à la peinture. Ses sculptures se sont exposées récemment aux journées de la céramique à Paris (place St Sulpice), et ses toiles le seront en septembre prochain en galerie.

En peinture comme en sculpture, sa simplicité touche du doigt comme un remède, une humanité en éternelle errance. Parmi ses sujets récurrents : les reflets familiers d’une diaspora durement murée dans son effort de survie, triste, étrangère et mal ajustée dans sa banlieue de France. Mais dans ses œuvres à la technique solide, où le matériau est tout autant travaillé que les traits, apparaît aussi une beauté aussi dense que la peine, née dans le doux regard d’Aslanian.

Lui qui pouvait passer pour un fou était en réalité l’observateur étonné de ce monde de fous. Peut-être tentait-il une consolation mutuelle, en lui tendant ses miroirs étranges. En ce centenaire du drame originel de la diaspora, l’exposition à venir est donc bienvenue pour contempler ce reflet, et s’apaiser.

Jilda Hacikoglu

Jeune fille en robe noire

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Du 14 au 27 septembre 2015 à la Galerie ARTES / 11 rue Frédéric Sauton 75005 Paris

Article à paraître dans le magazine France-Arménie de septembre 2015

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